Véronique de PACO OJEDA
La Movida apparaît en Espagne à la mort du « Caudillo ». Un vent de liberté souffle sur tous les domaines. C’est la remise en cause des valeurs traditionnelles et la libération
des mœurs brimées par le franquisme. La Movida signifie bouger mais l’autre signification est empruntée à l’argot de la drogue. « Hacer una movida » c’est quitter le centre de Madrid pour aller
en banlieue s’approvisionner et revenir en ville pour vendre, consommer les produits illicites. Le mouvement a gagné les grandes villes : Barcelone, Bilbao, Vigo, Valence et Séville. Libération dans tous les domaines artistiques :
musique, cinéma, design, graphisme…Vont surgir de cette mouvance des personnages hors norme , le plus célèbre est Pedro Almodovar qui y puise le terreau de ses films déjantés avec ses actrices fétiches Victoria
Abril, Penelope Cruz, Rossi de Palma et d’autres.
On peut comparer ce réveil espagnol à notre mai 68 mais avec les excès de l’âme ibérique. N’oublions pas qu’en France
nous ne sommes pas sous la coupe d’un dictateur comme le général Franco en Espagne. Le vent de liberté « tras los montes » n’en est que plus violent.
Tous les arts vont
s’épanouir dans cette mouvance y compris l’art taurin.
Alfonso Santiago, journaliste pour le magasine 6 toros 6 et aussi auteur de biographies comme celle de Miguel Angel Perera, Diego Urdiales ou encore
Enrique Ponce, est l’auteur de l’ouvrage « Memoria de los ochentas » (un apasionante decada de torero) qui montre l’impact de la movida sur les tendidos.
La nouvelle génération
d’aficionados commence à trouver que la Fiesta est un art éternel et non le leg d’un passé obscur rescent. Ce n’est plus un art qui sent le rance, démodé auquel le public avait tourné le dos. Ce qui
était classique devient avangardiste. La « movida taurine » c’est la passion qui gagne ceux qui sont séduits par le toreo y trouvant une facette de couleurs existantes dans l’affrontement de l’homme avec
le toro.
Les années 80 vont laisser une forte empreinte dans le toreo. De cette période va émerger une explosion de figuras, une palette de couleurs variées dans la façon de toréer.
Ce qui fascina au début, c’est la présence renouvelée des plus de 50 ans : Antoñete, Manolo Vasquez, Curro Romero, Rafael de Paula
qui confirmèrent, peut-être pour seulement quelques poignées de « tardes » une inspiration géniale et l’empreinte de leur art.
Au même instant les petits nouveaux
qui prirent l’alternative furent immédiatement classés dans les futures révélations. Leur tauromachie approfondit le meilleur d’eux-mêmes durant cette décade. Je veux parler de Manzanares, Niño de
la Capea, Roberto Dominguez, Ortega Cano, Julio Robles. La scène qui assista à leur explosion fut Las Ventas pendant la San Isidro autant que pour la Feria d’Automne.
L’empresa Manolo Chopera sut
donner l’importance nécessaire à ces années 80.
La présence de Paco Ojeda et d’Espartaco fut importantissime. Certains se souviendront peut-être du jour où le sanluqueño
confirma à Madrid avec un encierro de Cortijoliva en juillet 82 et termina sa temporada à Séville en octobre devant 6 toros de Manolo Gonzales. Ce fut la saison la plus courte de sa carrière mais la plus importante.
Nonobstant le fait qu’Ojeda soit présent ou absent de la scène entraîna un voile brumeux dans sa competencia avec Espartaco qui devint le leader dans cette période par le nombre de corridas à chaque saison.
Malheureusement le destin nous priva d’un torero des plus prometteurs par son toreo qui aurait sûrement marqué la décade, il s’agit de Jose Cubero Yiyo qui avait de grandes dispositions. Un autre
dont nous priva la faucheuse : Francisco Rivera Paquirri. Encensé par les uns dénigré par d’autres, sa carrière était bien entamée alors que celle de Yiyo débutait à peine, pleine de promesses.
En France c’est Nimeño II qui se trouva en fauteuil roulant avant le drame final...
Des toreros des années 70 consolidèrent
leurs acquis tels Ruiz Miguel et Damaso Gonzales immenses toreros. Joselito fut capable d’ouvrir les portes lors de cet après midi d’avril 1986, consacrés aux victimes du volcan colombien et il sortit de las Ventas en future figura.
Un jeune novillero pointait tel un prodige et augurait d’un talent certain, il venait de Chivas province de Valencia et se nommait Enrique Ponce. D’autres novilleros surgissaient aussi dans la promesse de l’aube :
Jesulin, Finito de Cordoba ou Julio Aparicio.
Il y eut aussi Mike Litri et Rafael Camino qui donnèrent une impulsion aux festivals mineurs.
L’on
voit aussi apparaître dans ces années 80 des toreros de « dynastie » comme Pepe Luis Vasquez, Manolo Gonzales, Fernando Lozano, Antonio Posada ou Chamaco.
Cette décade nous a vraiment
offert de grands et nombreux évènements taurins et une brochette de grands toreros.
La dernière décade du XXème siècle ainsi que les 2 premières du XXIème nous ont
donné aussi de grands maestros et certains affirment même que l’ont n’a jamais aussi bien toréé que maintenant.
D’autres déplorent la déchéance du bétail.
Ce débat est redondant depuis des années (on trouve déjà ces propos de chroniqueurs taurins dans la presse des années 60). Les amoureux du toro-toro comme à Céret ou Vic Fezansac, pour ne citer que la France,
réclament à corps et à cris des trapios d’aurochs et des cornes effrayantes d’autres privilégient le toro plus noble tout en se plaignant de sa faiblesse. Mais l’encaste Domecq est majoritaire par l’exigence
de beaucoup de paramètres…Notre souhait à tous les aficinados est un toro idéal, noble sans fadeur et brave avec du piquant. Dites ça aux éleveurs, ils vous affirmeront qu’ils souhaitent la même chose mais
difficile à obtenir car on ne sait jamais ce qu’il y a dans la tête de cet animal magnifique !
N’oublions pas, en prenant exemple sur les mythiques Miura, ils n’ont pas eu toujours les
mêmes caractéristiques et le poids actuel. Les Manolete, Dominguin, Camino qui les affrontèrent plus d’une fois, n’avaient pas devant eux des bêtes aussi impressionantes qu’aujourd’hui…Aujourd’hui,
pour développer un toreo templé et artiste les figuras demandent un toro noble et il est souvent faible au grand dam des aficionados. L’évolution et l’exigence des amoureux de l’art taurin constatent, depuis quelques
temps que les artistes acceptent des défis et toréent des Victorinos ou des Miuras pour ne citer que ces élevages. Le dernier à le faire bientôt sera Morante à Séville devant les Miuras, malheureusement
le virus a remis cela à plus tard. Le Genio de La Puebla s’inspire, par ce geste, de son idole Joselito Gallito qui vit beaucoup de Miuras dans sa courte carrière, fauché à 22 ans mais le bétail qu’il combattait
n’était pas le même qu’aujourd’hui (ce n’est pas moi qui le dis mais d’éminents observateurs). Pour en revenir à Morante de La Puebla si décrié par certains car il déçoit
souvent maintenant, il a été formidable devant des Victorinos à Dax en 2013. Il les rencontra en 2018 et 2019… D’autres toreros artistes ont relevé également le défit (pensons à notre torero national
Sébastien Castella à Arles aves des Adolfo Martin). Nous verrons la suite mais pour l’instant notre moral est bien malmené et dans l’expectative…
Vivement les jours meilleurs, nous
les amoureux de la Fiesta Brava n’avons pas vocation à désespérer !
La Chicuelina - 8 avril 2021
Merci à Alfonso Santiago qui a inspiré
mes propos